Tuesday, February 14, 2012

L'envahisseur


Si vous avez écouté An Inconvenient Truth, donc si vous avez été capable d'écouter le constat navrant sur notre planète qui fond sous nos pieds en faisant abstraction du fait qu'Al Gore lui-même consomme autant d'énergie que dix Américains moyens, vous vous souviendrez peut-être d'un moment dans le film où on compare les réactions humaines face aux changements climatiques à celle d'une grenouille dans l'eau bouillante. Si cette dernière saute dans l'eau déjà en ébullition, elle va illico en ressortir car elle réagit à la différence flagrante de température. Si toutefois on fait bouillir l'eau doucement pendant que l'animal s'y trouve déjà, celui-ci y restera jusqu'à ce qu'il soit prêt à servir avec des frites et une sauce aigre-douce. Après vérification, cette information est fausse, car la grenouille finit bien par vouloir sortir de l'eau, mais vous comprenez l'idée...


Si en fait c'est faux pour la grenouille, c'est toutefois vrai pour nous par rapport à la dégradation de l'environnement. C'est aussi très vrai par rapport à l'expansion de la publicité. Plus le temps passe, plus elle s'étend. Elle est dans ma figure du matin au soir. Kellogg, Gillette, Crest et Cotonnelle le matin, suivi de Chrysler, Ultramar pour me rendre au travail rejoindre Dell, HP, Sharp, Papermate, Purell, Scotties, Hilroy, Meridian, Microsoft Windows et Intel. Même quand je pisse dans un urinoir Crane, maintenant, j'ai une télévision Sony qui essaye de me convaincre de remplacer ma Chrysler par une Chevrolet parce c'est évidemment très supérieur à ce que j'ai déjà. Parfois je suis sur un site très respectable que je ne nommerai pas et alors que j'ai bien entamé la lecture d'un article fort intéressant, une publicité glisse soudainement au milieu de mon écran, me vantant les avantages d'acheter les lunettes Greich & Scaff qui permettent de mieux voir que toute autre au meilleur prix, mais qui, ironiquement, m'empêche de lire mon article, jusqu'à ce que je trouve le foutu petit "x" bien caché, sur lequel je dois cliquer pour retourner à ma lecture.
Maintenant que j'en parle, lorsque j'appelle Mastercard pour savoir si mon solde me permet d'acheter quelque chose, j'ai une voix préenregistrée qui m'invite à écouter attentivement, car les options ont été changées, puis une autre voix anonyme me parle langoureusement de trois nouveaux forfaits offerts par ma compagnie de crédit avant d’enfin se résigner à me révéler quelles sont ces nouvelles touches à appuyer.


Ce gentil petit viol de nos vies quotidiennes par la pub ne s'est pas fait en un jour. Si ça avait été le cas, on aurait déjà demandé qu'une commission enquête sur la question. Elle s'est faite lentement. Les compagnies s'assurent de bien garnir les coffres de ceux qui vont éventuellement devoir mettre leurs culottes et leur mettre des bâtons dans les roues, de manière à ce que ce jour tarde le plus possible. Ça ressemble à un virus qui se met en place, se multiplie de cellule en cellule, mais s'assure de ne pas causer trop de dommage avant d'être bien installé et pratiquement indélogeable.
Et maintenant, on commence à ouvrir les yeux. Un peu tard, peut-être, car la réalité semble de plus en plus cachée derrière la pub qui prend toute la place. Dans un documentaire que j'ai vu récemment et dont le titre m'échappe (désolé...), à la question "Quand est-ce que nous ne sommes pas affectés par la publicité ?", un expert en médias a répondu avec justesse "Quand on dort !"

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