Peu importe de quel groupe social vous êtes issus, vous avouerez que le français écrit est
terriblement difficile à apprendre, et absolument chiant à maîtriser.
Ce n’est pas un problème essentiellement québécois. Malgré
que le Québec soit actuellement le pire massacreur du français, la France, la
Belgique et la Suisse romande sont aux prises avec le même problème. Pourquoi
est-ce un problème inhérent au français? Pourquoi l’espagnol et l’italien, par
exemple, ne font pas face aux mêmes difficultés?
Eh bien, voilà. Parce que le français est compliqué pour rien!
Depuis le début de la vulgarisation du latin jusqu’au
français d’aujourd’hui, les populations francophones ont toujours eu tendance à
patoiser notre langue. Au milieu du IXe siècle, la France a tenté d’éradiquer
le breton, le patois du français le plus répandu à l’époque. Les enseignants
recevaient le mandat suivant du ministère de l’éducation: «Surtout
rappelez-vous, Messieurs, que vous n’êtes établis que pour tuer la langue
bretonne.» Pour forcer ce «linguicide», les enfants qui étaient pris à parler
breton dans la cour d’école étaient ridiculisés par les autres élèves, ce qui
était mandaté par les enseignants... Cette lutte pour un français uniforme créa
un snobisme linguistique. On refusait tous les postes importants à ceux qui
n’avaient pas la “bonne orthographe.” Les enfants n’avaient même pas droit de
faire leur première communion s’ils s’obstinaient à parler breton. C’était
devenu une affaire de classe, d’importance sociale. Le problème, c’est que cet
ostracisme envers ceux qui ne maîtrisaient pas le français parlé et écrit n’a
jamais permis une réforme satisfaisante de l’orthographe française!
Résultat: Nous sommes pris, encore aujourd’hui, avec des
règles grammaticales trop arbitraires, un système archaïque et complexe à
souhait qui n’est plus conforme à la réalité linguistique contemporaine. Le
massacre du français écrit n’est qu’un des symptômes d’une langue qui ne s’est
jamais adaptée au peuple qui l’utilisait.
Maintenant, je crois que la question est la suivante.
Voulons-nous nous battre pour un bon français parce que c'est une belle langue,
pleine de richesses et de subtilités, ou voulons-nous le faire parce que nous considérons,
consciemment ou pas, le français comme le fleuron de notre identité québécoise
? Quelle est votre réponse là-dessus ? Ça m'intéresse
beaucoup, honnêtement.
Et si je peux me permettre de creuser un peu plus, est-ce
qu'une langue devrait être vue comme une œuvre d'art qu'il nous faut absolument
protéger de toute altération, empruntée à d'autres langues ou née de la paresse
du peuple ? Ou alors est-ce un outil de communication qui doit évoluer avec le
peuple ? Si plus personne ne se rappelle ce qu'est un grille-pain, mais savent
ce qu'est un "toaster", est-ce un péché que d'intégrer
"toasteur" au dictionnaire ? "Ce n'est pas du français à la base
!" Oui, mais le français, à la base, c'est du latin qui a été massacré par
la populace pour devenir le latin vulgaire, pour ensuite être influencé par
l'invasion franque, puis se diviser en de nombreux dialectes. Les deux
principaux, langue d'oc et langue d'oïl (selon la manière de dire
"oui"), eux-mêmes étaient divisés en de nombreux sous-dialectes selon
la région. C'est enfin la langue d'oïl, plus particulièrement celle parlée à
Paris, qui est devenue le français d'aujourd'hui.
La pureté de la langue française, c'est quoi au juste ? Je
pense que sa pureté vient de toutes ses transformations, selon les changements
que le peuple lui a imposés au fil du temps, pour les bonnes et les mauvaises
raisons.
Ce qui me met en colère, ce n'est pas la transformation de
notre langue (que je crois inévitable, même si elle est en proie à l'influence
anglophone), ni la tendance à patoiser le français, ni même la tendance des Québécois
à ne pas maîtriser le français, ce qui est triste (je l'avoue), mais qui naît de
l’orthographe archaïque d'une langue trop snob pour changer , (à moins que l'on
voit "ognon" comme le début d'une révolution) et d’une méthode d’enseignement
à revoir. Ce qui me dégoûte, c'est la glorification du manque de respect de
notre langue par les jeunes d'aujourd'hui. L'utilisation systématique d'expressions
incorrectes, de mots écrits phonétiquement, de verbes mal conjugués, d'une
grammaire déficiente... Tout ça, c'est à la mode aujourd'hui. Les adolescents
voient d'un très bon œil la paresse linguistique et ils jettent toutes les
règles de la langue aux poubelles.
Ça, voyez-vous, ce n'est pas une évolution de la langue. Ce
n'est pas une pente faisant glisser notre langue dans une direction ou une
autre. C'est un gouffre. Et le français y tombe à la vitesse grand V. Quand les
ados n'en seront plus, le besoin d'écrire n'importe comment ne sera plus là,
mais les connaissances n'y seront toujours pas ! Comment vont-ils réussir à
aider et motiver leurs propres enfants à apprendre le bon français, s'ils sont
eux-mêmes de parfaits analphabètes ?
Je crois que si un courant risque de faire
disparaître le français au Québec, ce n'est pas l'influence anglophone. C'est
la célébration de la paresse linguistique.
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